Pour Guy Mamou-Mani, coprésident d’Open, entreprise de services du numérique, la révolution digitale est d’abord un défi humain qui implique une transformation en profondeur des organisations.Pour Guy Mamou-Mani, coprésident d’Open, entreprise de services du numérique, la révolution digitale est d’abord un défi humain qui implique une transformation en profondeur des organisations.
Comment analysez-vous la formidable poussée numérique engendrée par la crise sanitaire ?
La Covid a servi de catalyseur à la transformation numérique. En l’espace d’une année, nous avons réalisé ce qui nous aurait pris 10 ans. Ainsi, dans le domaine de l’école, des millions d’enfants ont pu bénéficier d’une continuité pédagogique grâce au numérique. En matière de santé, nous avons pu observer une augmentation très importante des actes de télémédecine. Et les entreprises ont pu continuer à fonctionner grâce au télétravail. Cette adoption massive ne cesse d’étonner puisque la grande majorité des prospectivistes et de la population continue d’assimiler le numérique à la déshumanisation. Or, on constate aujourd’hui que ce dernier, via l’utilisation des réseaux sociaux et des systèmes de visioconférence (Teams, Zoom…), a permis de conserver ce lien humain avec sa famille et ses collègues, si indispensable. Toutes les idées reçues sur le numérique ont donc été prises à contre-pied. Dans le même temps, il ne faudrait pas caricaturer le propos. Je ne suis pas en faveur d’un tout numérique, mais d’un numérique qui vient en complément, qui augmente et sert l’humain. C’est pourquoi, il est indispensable de préparer la société à cette transformation. Cela passe par l’éducation, la formation. C’est tout l’objet de mon engagement.
Malheureusement, cette fracture existe déjà. Les grandes entreprises du CAC 40 ont très bien compris les enjeux, tels que je les ai décrits, de la révolution numérique et se sont pleinement engagées dans cette transformation, y compris dans le secteur de l’industrie. De leur côté, les PME ont un très grand retard. Mais elles savent se montrer agiles. C’est une qualité qui pourrait leur permettre d’aller plus vite et, ainsi, de combler le fossé. Pour en profiter, les dirigeants des petites structures doivent faire évoluer leurs schémas de pensée. Ils sont près de 60 % à estimer que la révolution digitale est une mode, ce qui explique en partie le retard pris. Echouer à voir qu’il s’agit, au contraire, d’un mouvement de fond, est extrêmement dangereux. Une PME qui n’entame pas sa transformation numérique est condamnée à disparaître. On parle d’un mouvement inéluctable qui va exiger des efforts de formation et d’investissement. En plus d’être convaincu de la réalité de cette transformation, le dirigeant de PME va devoir donc quelque peu se détourner des contraintes de court terme qui marque davantage la vie des petites organisations que celles des grands groupes, pour réorienter une partie de ses priorités vers la transformation numérique de son entreprise.
C’est-à-dire ?
La transformation numérique d’une organisation, c’est d’abord la transformation de son business model. Il s’agit de passer de la vente de produits ou de services, à la vente d’usage. Exemple avec le succès de la société Airbnb. Pourquoi acheter une résidence secondaire alors que je dispose désormais de toutes les résidences secondaires du monde ? Ce changement de paradigme, c’est bien le numérique qui le permet. C’est aussi l’impact sur son mode de management, son organisation et par conséquent son accompagnement au changement.
Open s’est portée récemment acquéreur de Neos-SDI, société de conseil et d’ingénierie informatique, spécialiste de l’environnement Microsoft. Dans quel objectif ?
Neos-SDI est une société qui comprend 180 personnes et travaille autour des offres Microsoft concernant la « modern work place ». Cela nous permet d’accompagner nos clients dans le déploiement des solutions « Teams » ou « Yammer » puisque que pour conserver les relations humaines, même lorsque l’on est en télétravail, les réseaux sociaux jouent un rôle primordial. L’acquisition de Neos-SDI représente donc un investissement sur l’avenir parce que nous sommes convaincus que les entreprises vont accélérer le déploiement de ce type d’offre, la Covid en ayant démontré toute la pertinence.
La transformation numérique impacte également la sphère publique. Open est maître d’ouvrage du Health Data Hub, la plateforme française des données de santé, qui a fait l’objet d’une polémique en raison du choix d’héberger ses informations chez l’Américain Microsoft et a soulevé la question de la souveraineté européenne en matière de cloud. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?
Open est aujourd’hui un acteur majeur de la modernisation de la sphère publique qui représente 25 % de notre chiffre d’affaires (soit 75 millions d’euros). Nous sommes impliqués dans de très nombreux projets que ce soit au niveau national (services du Premier ministre…), territorial (départements, régions) ainsi qu’auprès de plusieurs agences publiques. Dans cet ensemble, le Health Data Hub (HDH) est une application vitale pour notre pays puisqu’elle consiste à mettre à la disposition des organismes de recherche publics et privés les données de santé. Cet outil, allié à l’intelligence artificielle, va nous permettre de sauver de nombreuses vies. Au regard de ces enjeux, la polémique que vous mentionnez me semble presque anecdotique. Les critères de sécurité qui ont été établis par Stéphanie Combes, directrice du HDH, sont ainsi du plus haut niveau possible. Mais dans cet ensemble, le choix de Microsoft fait froncer les sourcils des plus suspicieux en regard du « Cloud Act », loi américaine qui oblige toute entreprise de ce pays à remettre au gouvernement américain, s’il en fait la demande, les données qu’elle gère. Le problème, c’est que les fonctionnalités offertes par Microsoft Azure n’existent pas chez les acteurs souverains. C’est pourquoi, Stéphanie Combes, avec notre aide, a été conduite à choisir cette solution en vertu de considérations de sécurité et de performance qui ont permis de donner vie au projet dans des conditions parfaites de fonctionnement. Enfin, précisons que la première condition du projet est la réversibilité. Si un jour, nous assistons à la naissance d’un géant européen du cloud, création que j’appelle d’ailleurs de mes vœux, c’est bien ce dernier qui pourrait se voir associer au HDH.
En quoi la révolution numérique a-t-elle transformé votre propre entreprise ?
En 2015, nous avons lancé un plan stratégique initiant notre propre transformation. Nous avons procédé, soit à des acquisitions, soit à la création de toutes pièces d’agences digitales. Ces dernières ont un business model différent de celui traditionnellement en cours dans le monde informatique. Elles s’adressent d’abord aux métiers (direction marketing, commercial…). De plus, elles vendent des projets, des solutions, et pas uniquement du temps/homme, pour des réalisations en transformation digitale. Nous avons également créé des « squad » et des « practice ». Il s’agit d’équipes qui sont organisées autour d’un leader de façon transversale, et en fonction d’une compétence particulière. Vous avez donc une rupture totale dans la culture de l’entreprise qui accompagne cette transformation. Pour accompagner cette forte croissance, Open recrute 1 000 personnes par an.