C’est sans doute l’affaire de cyber espionnage la plus importante depuis l’affaire Snowden. En 2013, on découvrait, sidéré, dans le contexte de l’après-11 septembre, que la NSA avait mis en place un système de surveillance mondialisé de données. Mais les révélations que Forbidden Stories et ses partenaires, avec le concours technique du Security Lab d’Amnesty International, sont en mesure de faire aujourd’hui, semblent encore plus graves. Car elles montrent que cette surveillance n’est pas l’apanage d’un pays aux pratiques déviantes, aussi grand soit-il, mais qu’elle est généralisée, et concerne tous types de nations.
Qu’il s’agisse du Mexique, de l’Inde, du Maroc, de l’Indonésie, de l’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis, du Kazakhstan, de l’Azerbaïdjan, du Togo, du Rwanda, et même de la Hongrie, un membre de l’Union européenne, des agences gouvernementales ciblent leur propres concitoyens, ainsi que des personnalités à l’extérieur de leurs pays qui n’ont pour seul tort que d’être des avocats, des journalistes, des diplomates, des médecins, des sportifs, des syndicalistes, de simples militants, ou des hommes politiques, y compris des ministres, et 13 chefs d’État ou de gouvernements (dont trois européens comme nous le préciserons durant les jours prochains). « Ce que l’on voit avec le projet Pegasus est très différent et encore plus inquiétant que ce qu’on voyait dans l’affaire Snowden », estime Laurent Richard, le directeur de Forbidden Stories. « Ici, on a affaire à une société privée qui vend un logiciel extrêmement intrusif, à des États connus pour leur politique répressive en matière des droits de l’Homme et contre des journalistes. Et on voit clairement que ces États détournent cet outil pour l’utiliser contre ces populations-là ».
Au Mexique, le téléphone du journaliste Cecilio Pineda a été choisi comme cible quelques semaines seulement avant que celui-ci ne soit tué en 2017, à l’âge de 38 ans. Le Projet Pegasus a identifié au moins 25 journalistes mexicains ayant été désignés comme cibles en l’espace de deux ans. NSO Group a affirmé que bien que le téléphone de Cecilio Pineda ait été pris pour cible, les données recueillies de l’appareil n’ont pas contribué à sa mort.
Pegasus a été utilisé en Azerbaïdjan, un pays où il ne reste plus qu’une poignée de médias indépendants. Selon l’enquête, 40 journalistes azerbaïdjanais figuraient parmi les cibles potentielles visées. Le Labo sécurité d’Amnesty International a ainsi découvert que le téléphone de Sevinc Vaqifqizi, journaliste freelance pour le média indépendant Meydan TV, avait été infecté pendant deux ans jusqu’en mai 2021.
En Inde, au moins 40 journalistes de presque tous les grands médias du pays ont été désignés comme cibles entre 2017 et 2021. Les analyses techniques ont révélé que les téléphones de Siddharth Varadarajan et de M. K. Venu, cofondateurs du média en ligne indépendant The Wire, avaient été infectés par le logiciel espion Pegasus pas plus tard qu’en juin 2021.
L’enquête a également identifié parmi les cibles potentielles des journalistes travaillant pour de grands médias internationaux, comme Associated Press, CNN, le New York Times et Reuters. Au rang des journalistes les plus connus figurait Roula Khalaf, rédactrice en chef du Financial Times.