Le numérique fait partie de notre quotidien. Nous vivons dans un monde du « tout numérique ». Les individus, les communautés et les États sont de plus en plus interconnectés. C’est le règne du digital. Plusieurs secteurs d’activités connaissent ce phénomène de la digitalisation. De l’économie à l’administration en passant par le domaine politique ; aux questions d’identité de sécurité, de santé, de finance, etc. la « e-gouvernance » s’impose progressivement dans les pratiques de gestion étatique. Cette situation semble s’accélérer avec le contexte sanitaire de la Covid-19 où les mesures de confinement et distanciation physique imposent le travail à distance : télétravail, visioconférence.
Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazone, Microsoft) continuent de tisser leur toile sur le monde, à telle enseigne que les frontières se sont miniaturisées et plusieurs pans de nos vies ont été dématérialisés. Les pratiques et manières d’agir des hommes se numérisent et les rapports sociaux sont de plus en plus virtuels. La digitalisation a infiltré le quotidien des citoyens prenant souvent en otage la vie privé. L’espionnage a pris de l’ampleur avec les écoutes téléphoniques. L’actualité de ce phénomène s’illustre bel et bien avec l’affaire du logiciel espion Pegasus.
L’ambivalence de l’usage du numérique n’a d’égale que le potentiel des réseaux sociaux à diffuser en de temps records des informations tant vraies que fausses (fake news). « La promesse d’une vie meilleure ensemencée par la révolution numérique » (Dugain et Labbé, 2016) ne doit guère laisser perdre de vue sur le prix exorbitant à payer. Si le numérique tend à favoriser et à accélérer les mutations sociales et politiques, comme ce fut le cas du printemps arabe, il n’a pas tardé lui-même à s’imposer comme une dictature orchestrée par les GAFAM (Dugain et Christophe, 2016). La réflexion sur la problématique du lien entre les TIC et la gouvernance a émergée ces dernières années. Elle évolue souvent en parallèle au débat sur la gouvernance électronique (Gianluca Misuraca, 2012). Elle a essentiellement porté sur des questions de l’administration numérique (Algan, Bacache-Beauvallet et Perrot, 2016) ; du grand saut technologique (Bonjawo, 2002 : 18) ou des nouvelles formes d’actions publiques (Edimo, 2010). Le numérique induit de grands bouleversements au sein des États africains (El Mehdi, 2011) comme à l’échelle du monde.
Le monde post-wesphalien a connu l’émergence des nouveaux acteurs organisationnels qui mettent l’État sur le reculoir sur la scène internationale. Cette rude concurrence de l’Etat se poursuit inexorablement de nos jours avec le pouvoir des GAFAM. Il faut néanmoins relever qu’aujourd’hui avec le monopole de la justice, les États ont repris la main sur les grands acteurs de l’internet. On en veut pour preuve le fait que les efforts d’autorégulation mis en place par ces acteurs sont tous voués à l’échec ; car, ils doivent s’adosser à des règles tant régionales que nationales pour en garantir l’effectivité. En outre, il faut relever qu’en Europe notamment, cette nouvelle ère de la communication est appréhendée avec méfiance comme l’expliquait un rapport détaillé du Conseil national du numérique en 2014. C’est dans ce sens que les États réussissent à contrôler ces grands acteurs de l’internet au regard des sanctions infligés par exemple à Google par l’État français.
Pour des auteurs comme Eric Schmidt et Jared Cohen, internet apparait comme « l’une des rares créations de l’homme qu’il ne comprend pas tout à fait […]. C’est la plus grande expérience d’anarchie de l’histoire […], à la fois source de bienfaits considérables et de maux potentiellement terrifiants, dont nous ne commençons qu’à peine à mesurer les effets sur le théâtre mondial » (Schmidt et Cohen, 2013 : 11). Face à cette complexité, la question fondamentale est de savoir : qui gouverne et comment gouverner à l’ère du numérique ?
Partant de l’idée communément admise selon laquelle gouverner c’est prévoir, un questionnement demeure. Les masses de données que le numérique permet de collecter dans les domaines aussi divers que l’économie, le politique, la santé, l’environnement, voire sur la vie des individus, permettent-elles aux Etats d’améliorer la qualité de la gouvernance ? Le flux d’informations dont le numérique favorise la collecte permet-il aux gouvernements d’anticiper et de gérer efficacement les crises ? Le pouvoir des multinationales du numérique sur le contrôle tentaculaire du monde dépossède-t-il l’Etat de ses outils traditionnels de gouvernance, ou alors offre-t-il davantage d’instruments nouveaux de gouvernance des sociétés ? La gouvernance de l’État est-elle plus transparente, juste et équitable à l’heure du numérique ? Ou le numérique constitue-t-il plutôt un danger pour la gouvernance de l’Etat ? Le monopole qu’exercent les gigantesques entreprises du digital sur le marché de la collecte et du stockage des données en s’octroyant parfois de rôles régaliens, amenuise-t-il la capacité de l’Etat à se gouverner ? Indubitablement, le numérique confère des moyens de rationalisation des manières de gouverner l’État contemporain ; tout comme il révèle l’impotence des gouvernements tant démocratiques qu’autocratiques. Le numérique porte à la fois les germes de destruction et d’amélioration des mécanismes de gouvernance, générant par exemple un paradoxe de gouvernance entre des autorités fragiles et des sociétés de plus en plus agiles.